Le Covid-19, un facteur majeur d’aggravation de l’AVC et de décès

Publié le 12 novembre 2020

Retour sur des observations cliniques surprenantes et point sur des perspectives de recherche clinique très prometteuses.

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L’AVC constitue à la fois une urgence médicale absolue et un enjeu majeur de santé publique (1re cause de mortalité chez les femmes en Europe et 1re source de handicap en France). Une prise en charge rapide et experte est indispensable, car chaque minute de retard est délétère, occasionnant destruction de neurones et dommages irréversibles sur le cerveau.

Lors des premiers stades de l’épidémie de Covid-19, la chaîne de prise en charge en urgence des AVC a été particulièrement bousculée, entre saturation des lignes téléphoniques d’urgence et autocensure des malades ne voulant pas engorger les hôpitaux ou craignant d’être contaminés. Dans le prolongement de la journée mondiale de l’AVC du jeudi 29 octobre dernier, les médecins et chercheurs de l’Hôpital Fondation Rothschild font le point sur la prise en charge des AVC pendant la première vague de Covid-19, sur les taux de décès inhabituels, sur l’inefficacité inquiétante des traitements standards et sur les pistes de recherche en cours pour proposer dès la 2e vague qui s’amorce, une prise en charge adaptée à ces patients.

Allongement de prise en charge et baisse très significative des thrombectomies

Une étude menée sur l’ensemble du territoire français1 sur une période allant du début de l’épidémie aux premières semaines du confinement a ainsi montré une diminution significative du nombre d’AVC traités par thrombectomie mécanique2 (réduction de 21 % sur 1513 patients inclus dans 32 centres) ainsi qu’une augmentation inquiétante des délais de prise en charge.

À l’Hôpital Fondation Rothschild, l’activité de thrombectomie chez les patients victimes d’AVC avec occlusion des gros vaisseaux a enregistré une baisse de 38 % entre mi-février et fin avril 2020 par rapport à la même période de 2019. De même, les délais de prise charge primaire, qui vont de l’identification des symptômes à la confirmation par imagerie d’un AVC, sont passés de 115-130 minutes l’an passé à 150-170 minutes en mars-avril 2020, tandis que les délais de prise en charge secondaire (de la confirmation de l’AVC à l’arrivée au bloc opératoire pour la désobstruction), habituellement de 100-120 minutes, atteignaient 140 minutes en mai 2020. Le délai global de prise en charge, habituellement de 300 minutes entre le début de l’AVC et la désobstruction au bloc opératoire, atteignait 390 minutes en avril 2020, soit 1h30 de délai supplémentaire pour une maladie où chaque minute compte.

Plusieurs explications sont avancées, notamment une saturation des systèmes d'urgence, des possibilités réduites de transfert des patients vers les unités neurovasculaires capables d’effectuer une thrombectomie ou la non-venue des patients à l’hôpital par crainte du Covid-19.

Une imagerie médicale très inhabituelle : des caillots bouchant deux artères

L’imagerie médicale réalisée à l’arrivée de patient en urgence a montré des3 AVC plus graves avec une occlusion des gros tronc arteriels. "Nous avons aussi vu des patients qui avaient un AVC et, simultanément, une occlusion d’une artère dans une jambe. C’est très particulier", indique le Dr Michaël Obadia, neurologue "Une hypothèse consiste à dire que le Covid-19 a été un facteur aggravant d'un sous-type d’AVC avec occlusion des gros vaisseaux, peut-être d’origine athéromateuse".

Des patients très complexes à traiter et beaucoup plus à risque de faire un 2e AVC  
La thrombolyse est le 1er traitement de l’AVC, elle est efficace pour environ 20 à 30 % des patients. Chez les patients atteints de Covid-19, les caractéristiques des caillots semblent avoir rendu ce médicament inefficace, "la thrombolyse n’a fonctionné sur aucun AVC avec occlusion de gros vaisseaux parmi les patients que nous avons pris en charge", conclu le Dr Simon Escalard, neuroradiologue interventionnel, dans l’étude qu’il a menée.

Le Dr Escalard précise "pour les AVC avec occlusion de grosses artères, la survenue de plusieurs occlusions artérielles simultanées était fréquente, rendant la thrombectomie plus compliquée. Le taux d’occlusions multiples était de 50 % chez les patients Covid-19 contre 8 à 9 % des cas en temps normal". Ces patients étaient plus sévères, avec un mauvais pronostic clinique. En outre, en dépit d’un traitement satisfaisant à la phase aigüe, 40 % des patients ont présenté un 2e AVC dans les 24 à 48 heures, ce qui est habituellement très rare. En cause, probablement l’inflammation et un phénomène d’hypercoagulation liés à l’infection virale.

Beaucoup plus de décès et des patients présentant post-AVC, des handicaps sévères 

"Tout semble plus grave et se dégrader beaucoup plus vite avec le Covid-19. Toutes les limites de nos traitements ont été exacerbées dans ce contexte", indique le Dr Jean Philippe Désilles, neuroradiologue interventionnel.
"De fait, une surmortalité a été constatée ainsi qu’un accroissement du handicap chez les patients ayant survécu", indique le Dr Escalard. Nous avons également observé un taux de 42 % de mortalité intra-hospitalière versus 12 % en 2019, avec une prise en charge pourtant identique.

Des pistes sérieuses de recherche clinique à explorer pendant la 2e vague   

"Avec le Covid-19, les traitements habituels ont échoué, démontrant toute l’importance de la recherche clinique", précise le Dr Escalard.

Comment agir sur le caractère très inflammatoire des caillots et renforcer ainsi l’action de la thrombolyse ? 

Étude avec le Pulmozyme®

"Avec le Covid-19, les cellules de l’inflammation participent à la formation du caillot et ont la propension de constituer des réseaux extra cellulaires d'ADN (NETS pour Neutrophil Extracellular Traps), qui participent de façon très importante à la résistance des caillots à la thrombolyse intraveineuse", note le Dr Désilles.

Dans un essai préclinique ex-vivo, l’équipe de chercheurs (en collaboration avec l’équipe du Dr Benoit Ho-Tin-Noé de l’Unité Inserm 1148) a mis en évidence la résistance des caillots à la thrombolyse, mais aussi leur dissolution très rapide en cas d’association de la thrombolyse au Pulmozyme®, un médicament qui cible les NETS contenus dans les caillots. Ce médicament est utilisé en aérosol dans le traitement de patients atteints de mucoviscidose. Une étude clinique devrait démarrer dans les prochains mois pour évaluer son efficacité chez les patients atteints d’un AVC.

Le projet de recherche Booster se met à l'heure du Covid 

Le projet Booster lauréat, en 2019, de l’appel à projet RHU de l’Agence Nationale de la Recherche est destiné à faire émerger une médecine personnalisée des AVC en situation d'urgence. Il s’appuie sur la plus importante bio-banque de caillots en Europe, conservée à l’Hôpital Fondation Rothschild "L’un des trois axes de Booster cherche à développer des médicaments ou des dispositifs innovants pour disposer d’une palette plus large de traitements, pouvant être utilisés seuls ou combinés en fonction du profil du patient", explique le Pr Mikaël Mazighi, neurologue "Les spécificités du Covid-19 mettent d’ores et déjà en exergue certains mécanismes de formation du caillot et de résistance aux traitements. Ces premiers constats nous mènent vers le ciblage de certaines voies moléculaires en utilisant, dans un premier temps, des traitements déjà disponibles pour d’autres indications".

Pour conclure …

"Le risque de séquelles et de handicap secondaire à l’AVC est augmenté par l’allongement des délais de prise en charge et l’inefficacité des traitements de phase aigüe habituels en cas d’infection COVID. À l’heure où une deuxième vague de patients victimes d’AVC et Covid positifs s’annonce, il est important de maintenir une chaine de secours efficace passant par l’appel immédiat du 15 devant tout symptôme évocateur d’AVC et une organisation des UNV efficace et adaptée aux contraintes d’isolement des patients Covid positifs. Pouvoir proposer rapidement des alternatives aux traitements habituels, majoritairement inefficaces en cas d’infection COVID est un enjeu thérapeutique majeur pour ces patients." conclut le Dr Candice Sabben, neurologue.    

[1] Kerleroux et al : « Mechanical Thrombectomy for Acute Ischemic Stroke Amid the COVID-19 Outbreak ».
[2] La thrombectomie est une intervention endovasculaire consistant, sous anesthésie, à retirer mécaniquement le caillot, en l’emprisonnant ou en l’aspirant. Elle permet de restaurer la circulation dans le cerveau.
[3] Escalard et al : « Early Brain Imaging Shows Increased Severity of Acute Ischemic Strokes With Large Vessel Occlusion in COVID-19 Patients ».

Communiqué de Presse AVC COVID Hôpital Fondation Rothschild

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